DEVENIR DONNEUR

CHANCEUSE DANS MA MALCHANCE

19 décembre 2019

Marie-José Filion

Le diagnostic

Le lumineux parcours d’une battante face à la leucémie

Un mois intense de travail de coopération dans un pays pauvre, le Bénin, pendant lequel je me disais : « Tu vieillis, tu as grossi, tu ne fais pas assez d’exercice, c’est pour cela que tu es épuisée. »

Je reviens. À la descente de l’avion, c’est directement la clinique, l’hôpital. Le diagnostic tombe : j’ai une pneumonie secondaire à une leucémie. Trop amochée pour réagir, je reçois cette nouvelle sans beaucoup d’émotions. Ben coudonc, je vais faire avec… Pas de révolte, pas de sentiment d’injustice mais plutôt la pensée que si j’étais béninoise, je serais morte d’une pneumonie sans jamais avoir reçu de diagnostic de cancer. Chanceuse d’être au Québec.

la solitude est difficile

la transition

Quelques jours de congé de l’hôpital et je magasine ma perruque et ma garde-robe des prochains mois sans savoir que ce serait si long.

Je pars pour ce voyage… Au début, j’alterne entre l’hôpital et la maison. Chimio, isolement, retour à la maison, et ça recommence. Un peu seule aussi pendant les premiers mois puisque mon mari et mes enfants sont occupés par le travail et les études. Et malheureusement la plus jeune de mes filles subit une commotion cérébrale qui la met au repos. On se soutient mutuellement. Je me sens moins seule.

les complications d'une greffe

recherche de mon donneur

Et commence la recherche d’un donneur. Mon frère et ma sœur ne sont pas compatibles. Quelle déception! Mais un jour, bonne nouvelle, j’ai un donneur. Chanceuse! La vie nous réserve des surprises: moi qui suis inscrite au registre des donneurs de moelle osseuse depuis près de 30 ans suite à la leucémie d’une copine, je n’ai jamais eu la chance d’être donneuse… mais j’en ai un.

Mais les problèmes s’accumulent, récidive, chimio, chirurgie, chimio. Le bal recommence et s’intensifie avec la fusariose maudite, une infection qui risque très sérieusement de m’emporter. Cela implique de composer avec une hospitalisation de plus de sept mois avec une grande incertitude quant à l’issue finale. Tout cela avec l’espoir à l’horizon de la greffe de moelle osseuse, retardée par chaque complication.

C’est pendant cette période que j’apprends à puiser dans mes ressources personnelles et que je savoure intensément la présence de ma famille et de mes amis. J’apprécie énormément l’attitude de toute l’équipe médicale, compétente, chaleureuse et à l’écoute. J’ai aussi demandé de l’aide à la psychologue spécialisée en oncologie. Un précieux soutien.

comment j'ai survécu

changer ma routine

On me demande comment j’ai fait. Ma mère dirait que j’ai eu la grâce d’état! Probablement.

De mon côté, j’ajouterais que j’ai intégré, à mon insu, bien des principes que mon travail m’a enseignés, tout comme mes thérapies et lectures. En effet, mon travail d’ergothérapeute m’a fait côtoyer beaucoup de personnes en difficultés. Animatrice pour les aidants naturels, j’ai souvent parlé avec eux de l’importance de l’attitude et cela m’a servi énormément.

Pour passer à travers ce voyage, je refusais de me poser en victime et je prenais du pouvoir sur ma vie; je tentais de garder un certain équilibre. Ma responsabilité était de prendre soin de moi dans la mesure de mes capacités. Le défi : être créative et active dans le processus.

Comment? Par des petites choses toutes simples.

À l’hôpital, je me suis créé une routine comme à la maison. Tous les matins, je faisais mon lit en me levant, prenais ma douche et m’habillais tous les jours, rouge à lèvres et perruque inclus. Le soir, je mettais mon pyjama car la jaquette d’hôpital me déprime et la « craque » à l’air, très peu pour moi. Je gardais une certaine coquetterie.

J’avais établi mon programme d’activités quotidiennes : de 30 à 45 minutes d’exercices au lit, de la lecture, du casse-tête, du crochet, du dessin, du Scrabble. La télé, le soir seulement comme à la maison. Et la marche! Pendant cinq des sept mois d’hospitalisation où j’avais une perfusion en permanence, j’ai négocié avec l’équipe médicale la possibilité d’être débranchée une heure chaque jour. Pendant, cette heure, j’allais marcher 4 km à l’extérieur de préférence sinon à l’intérieur. Bon pour le moral et pour le physique. En plus, les médecins me répétaient qu’il faut être en forme pour subir une greffe! J’allais souvent souper avec mon mari à la cafétéria de l’hôpital que j’avais baptisée « Chez Gaétan ». On fait les sorties qu’on peut!

Et finalement, la greffe à l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont en mars 2018. C’est un grand moment mais le geste est étonnamment simple, comme une transfusion. Une ombre au tableau cependant : compte tenu de ma condition, j’avais une chance sur deux de passer à travers! Et c’est reparti pour l’aventure.

Joyeux anniversaire, vous avez la réaction du greffon contre l'hôte

Vos problèmes ne disparaissent pas après la greffe

Eh oui, j’ai perdu la carte pendant deux ou trois semaines : un délirium où je ne reconnais plus personne, je suis couchée comme un petit poulet, diront mes proches, et nourrie par voie veineuse. Puis, j’émerge progressivement du délirium mais je suis incapable d’avaler, même ma salive. Une réaction à la greffe qui occasionne des ulcères plein la bouche. Manger un popsicle est toute une entreprise! Mais, chanceuse, encore une fois, je suis passée à travers, je suis vivante.

Fin avril 2018, je reviens finalement à la maison!! Faible, limitée et en visite à l’hôpital deux fois par semaine pour des transfusions de sang et de plaquettes. Je savoure l’été sur la terrasse et respire l’air frais. Chanceuse d’être revenue chez moi. Des surprises en cours de route, une GVH comme cadeau de fête en septembre, mais JE SUIS EN VIE.

Retourner à ce que j'aime

Je suis chanceuse d’être en vie

À l’automne, je reprends progressivement mes activités, cours de peinture, entrainement, bénévolat, conseils d’administration et des sorties de toutes sortes. Un an et demi plus tard, j’ai moins de résistance qu’avant mais j’adapte mon rythme et surtout j’ai appris à jouir de la vie, chaque jour, à ne pas m’en faire pour rien. Cet été, j’ai repris le vélo et suis allée en Europe! Deux grands plaisirs!

J’ai été chanceuse d’être bien soignée au Québec par des gens compétents et humains.

J’ai été chanceuse d’être si bien entourée de mon mari, mes enfants et mes amis.

Je suis chanceuse d’être en vie.

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